Vélogiciel • Voyage en Sicile
Voyage itinérant en Sicile - Mai 2010
Résumé
Au mois de mai 2010, j'ai fait le tour de la Sicile en vélo, en autonomie complète, avec mon ami Jérôme. Nous sommes partis de Gênes en bateau pour 20h de traversée. Départ de Palerme et arrivée 11 jours plus tard (9 étapes + 2j de repos) à Palerme.
Voici les étapes que nous avons réalisées:
- Etape 1: Palerme - Gangi, 130 km
- Etape 2: Gangi - Randazzo, 112 km
- Etape 3: Randazzo - Etna - Randazzo, 84 km
- Etape 4: Randazzo - Siracuse, 160 km
- Etape 5: Siracuse - Piazza Armerina, 145 km
- Etape 6: Piazza Armerina - Agrigente, 130 km
- Etape 7: Agrigente - Lago di Gracia, 128 km
- Etape 8: Lago di Gracia - Castellammare del Golfo, 77 km
- Etape 9: Castellammare del Golfo - Palerme, 92 km
La galerie de photos est disponible via le lien suivant galerie photo.
Récit par Jérôme
« La terre nous en apprend plus long sur nous que tous les livres. Parce quelle nous résiste. Lhomme se découvre quand il se mesure avec lobstacle » (A. de Saint-Exupéry)
Cest au début de lannée 2010 que Thomas avait évoqué avec moi la possibilité dun voyage itinérant en vélo. Pour lui, la question se posait encore de la destination, Suisse ou Sicile. De mon côté, la démarche nétait pas évidente, puisque je suis de manière générale beaucoup moins endurant que lui, et que de plus, je navais alors pas de VTT. Finalement, la perspective de vacances en vélo en Sicile étant très alléchante, jai pu récupérer le bon vieux Rockrider de mon frère, un vélo costaud et fiable, bien que plutôt lourd. Thomas, quant à lui, en vieux briscard de la rando à vélo quil est déjà (un tour de Corse en tandem à son palmarès), attèlera une remorque Bob Yack (une valeur sûre) à son Lapierre. Pour la période choisie, il nous a paru opportun de partir en mai, à la fois parce que le printemps en Sicile est réputé magnifique, également pour éviter les flots de touristes du plein été, enfin parce que nous craignions les grosses chaleurs de juillet-août. Lavenir nous montrera que les choses, comme souvent, ne sont pas si définitives
Mercredi 12 / jeudi 13 mai 2010 :
Cest le 12 mai que nous nous sommes retrouvés en Ardèche, à Lamastre, patrie de Thomas, pour les derniers préparatifs avant de partir. Cette première journée aurait été un peu fade si nous ne nous étions pas rendu compte que notre bonbonne de gaz supplémentaire ne sadaptait pas à notre brûleur : voilà de quoi nous mettre en confiance, dautant que bien sûr, le lendemain est le jeudi de lAscension, férié par conséquent
Mais ce mauvais départ a rapidement été conjuré, dès le lendemain, car le père de Thomas a réussi à dénicher, on ne sait où, la cartouche adéquate. Une fois les derniers préparatifs emballés, les vélos démontés et alignés dans la 205 de Thomas, nous sommes prêts à partir vers 12h30. Une route forcément monotone soffre à nous, pressés que nous sommes de rejoindre la Sicile. Dès notre passage en Italie pourtant, une grosse averse vient rompre cette monotonie. Et ce premier avertissement est confirmé à notre arrivée à Gênes : embouteillages, pas moyen de retrouver le parking repéré sur Internet ; finalement, pressés par le temps, nous nous sommes rabattus sur un parking proche du port, malgré des prix assez prohibitifs (15 la nuit, après négociation !) et nos premières difficultés pour nous faire comprendre (nous ne parlons pas litalien). Ce ne sera dailleurs que le début de nos tribulations linguistiques, puisque durant tout notre séjour la barrière de la langue sera toujours difficile à franchir
Bref, les affaires sont déchargées sans tarder et nous rejoignons le ferry après avoir récupéré les billets. Devant lindécision des responsables de la sécurité face à la remorque de Thomas, nous garons les vélos tant bien que mal dans un coin du parking intérieur, en priant tout bas pour que les chaînes et les cordes qui les maintiennent naient pas trop de jeu. Armés de nos sandwiches, de nos sacs de couchage et des matelas autogonflants, nous montons sur le pont supérieur pour vivre le grand départ du port, non sans un petit pincement au cur, comme si le voyage commençait seulement maintenant. Du moins prenons-nous pleinement conscience que tout retour en arrière est maintenant impossible. Après un repas frugal et vite avalé, nous nous mettons sérieusement à la recherche dun coin pour dormir. Je ne suis pas sûr que « dormir » soit dailleurs le bon mot : passer la nuit serait sans doute plus approprié. Car autant il nest pas obligatoire de choisir des couchettes quand on prend le ferry, autant on est bien forcé dadmettre quil est quasiment impossible de dormir autrement
Le seul avantage, évidemment, cest le prix. Mais de là à plébisciter ce mode de transport, il y a un pas quon peut légitimement hésiter à franchir
Nous avons bien fini par dénicher une salle de repos qui aurait dû être fermée et dans laquelle nous étions donc seuls. Mais pour tenter de dormir, le monde se divise en deux catégories : coucher par terre et ressentir les trépidations des machines, ou essayer de saffaler à moitié dans un fauteuil ; grave incertitude, devant laquelle lesprit hésite : nous navons pas encore trouvé de réponse
Finalement, nous avons fini par passer une nuit qui, sans être blanche, avait tout de même de belles nuances de gris.
Vendredi 14 mai : 16,5 km pour sortir de Palerme
Le lendemain, dailleurs, na pas été particulièrement réjouissant puisque les occupations sur un ferry restent limitées au strict minimum, dautant plus que nous nous sommes rendus compte à lapproche des côtes que nous avions une heure de retard sur lhoraire annoncé. Mais tout cela ne nous empêche pas davoir une première impression de ces routes que nous allons abondamment pratiquer. Malgré un temps plutôt mitigé, cest avec un certain émerveillement que nous prenons les premières photos de Palerme qui se devine, largement étalée aux pieds des contreforts de lîle. Et il est déjà temps de penser à notre première nuit de campeurs, que le retard du ferry rend plus proche que nous ne lavions prévu (car nous récupérons les vélos à 19h passées). Sans parler de nos premières courses, qui nous font apprécier les joies dun supermarché sicilien aux heures de pointe (très peu de différence, à vrai dire, avec nos contrées). Nous nous frottons ensuite à une spécialité locale, déjà connue encore une fois sous nos latitudes : les embouteillages de Palerme. Sans le gps de Thomas, nous serions peut-être encore en train de tourner au milieu des voitures, petit hommage donc à la technologie. Nous commençons à longer la côte en guettant les endroits les plus accueillants car la nuit commence sérieusement à tomber. Un peu par dépit, alors que nous ny voyons plus grand-chose, nous plantons la tente sur une plage près de bâtiments à labandon : au moins, le sable nous fournira un lit plutôt confortable ! Mais il était écrit que notre acclimatation à la Sicile nirait pas sans accroc : vers trois heures du matin, le vent nous réveille avec une certaine violence, à tel point que nous pensons avoir perdu des sardines. Portes ouvertes pour tenir le bas de la tente, Thomas passera le reste de la nuit avec le bras dehors, ce qui donne une bonne idée du repos que nous avons pris là.
Samedi 15 : étape 1 : 127,6 km, 6h48, 2253 m D+ (Palerme Sperlinga)
Le lendemain nous réservera dailleurs quelques bonnes surprises : non seulement le temps est à la pluie (dassez lourds nuages arrivent depuis louest) et nous oblige à remballer le plus vite possible, mais en plus lintérieur de la tente est couvert de cendres : la veille, dans lobscurité, nous avons eu la bonne idée de nous installer à côté des restes dun feu que le vent a généreusement charriés toute la nuit. A peine les affaires repliées et la pluie se met à tomber, une averse qui nous force à nous abriter sous le bâtiment en ruine près de nous ; cest là que nous prendrons un petit déjeuner à la dure, assis sur un bloc de béton ou un fût darbre. Décidément, ce voyage commence de plus en plus à ressembler à une galère ! La pluie continuera dailleurs à nous accompagner dans la journée, par intermittences, nous forçant même parfois à nous arrêter.
Mais lenthousiasme du débutant est, comme on sait, inépuisable, et nous finissons par partir vers 9h50, ce qui nous semble malgré tout un peu court pour létape qui sannonce. Quoi quil en soit, ces premiers véritables coups de pédale nous font découvrir un premier aspect de la psychologie sicilienne : lamour immodéré que ce peuple porte à son klaxon. Ça semble être une relation viscérale tant il lutilise avec délectation, mais nous finissons par comprendre que ces klaxons sont en particulier systématiquement utilisés auprès des cyclistes : cest bien par souci de prudence, pour nous avertir, quils sen servent à tout bout de champ ; plutôt sympa finalement ! Une autre remarque dordre général nous saute également aux yeux, ou plutôt aux jambes : en Sicile, la plupart des villages est située en hauteur, sur des buttes, ce qui finit par être usant. Et comme cest Thomas qui traîne tout notre barda dans sa remorque, nous faisons notre premier essai pour nous atteler avec une corde descalade : non concluant, nous navons pas lhabitude de cette distance quil faut adapter par un juste dosage entre les deux vélos
Au niveau de la température, les choses sont claires : nous tombons de haut ! Personnellement, je passe cette première journée en relevant et abaissant jambières et manchettes au rythme des averses. Pour des gens qui sattendaient à étouffer de chaleur, cest assez déstabilisant
A Petralia Sottana, pendant que Thomas cherche désespérément à faire fonctionner une carte téléphonique internationale (tentative qui naboutira que beaucoup plus tard), je suis à peu près transi de froid. Nous sommes heureusement moralement réchauffés par les commerçants siciliens : peut-être attendris par nos efforts (plutôt vains, il faut lavouer) pour communiquer, nous avons été pendant le séjour gâtés au-delà de nos attentes. Ici, ce seront quelques poires que nous ne payerons pas ! Nous descendons un peu en altitude pour découvrir Gangi, comme une ruche perchée au sommet dune butte, belle découverte immortalisée par quelques photos. Nous tentons de rejoindre notre point darrivée quand un effondrement de la route assez spectaculaire nous contraint carrément au demi-tour. Nous ne devrons finalement un campement correct quà une bande de jeunes avec qui nous peinons à communiquer mais qui nous indique la proximité dune fontaine qui nous permettra de nous supporter mutuellement dans la tente. Tout ça ne manque dailleurs pas de piquant puisque comme nous sommes à 800 m daltitude et que le vent souffle, la toilette nest pas sans souffrance, de même que la nuit, qui se passera avec polaire et bonnet !
Dimanche 16 : étape 2 : 111,7 km, 5h44, 1900 m D+ (Sperlinga Randazzo)
Le lendemain est un dimanche, et nous nous levons vers 7h20. A cause du petit détour de la veille, nous partons directement dans un bon vieux raidar à 15% qui nous prend à froid. Je me demande bien comment Thomas arrive à passer avec les quelques 30 kg quil a à tirer, moi-même je commence à sentir un tiraillement au genou, tendinite pas tout à fait guérie qui se rappelle à mon bon souvenir, et dont je ne fais que commencer à entendre parler. A Nicossia dont le centre ville nest pas sans charme, malgré des rampes pavées très pentues qui brûlent bien les cuisses, nous trouvons de quoi nous ravitailler dans une boulangerie ouverte. Ce nest pas loin dêtre de la chance, car pour un dimanche, il faut reconnaître que nous avons été assez imprévoyants. Une belle bosse nous donne ensuite loccasion de refaire un essai pour nous encorder, ce qui est bien plus concluant que la première fois. Par ce premier palier de montée, nous arrivons jusquà Cesaro après nous être fait offrir (encore !) des oranges par un épicier sympathique. Vers la fin de journée nous approchons du mythe : nous sommes sur les contreforts de lEtna, qui commence à se dévoiler, bien que son sommet soit noyé dans les brumes. Il faut bien avouer quil impressionne, ce bon vieux volcan ! Mais il ne faudrait pas oublier la fin détape, qui va savérer interminable, pour parvenir à Randazzo : de longues lignes droites en faux-plats montants où nous prenons un sérieux coup de moins bien. Heureusement, le Lidl de Randazzo, seul magasin ouvert, nous sauvera la vie (restons objectifs !) et nous y faisons une razzia terrible sur la nourriture. Nous trouverons ensuite, à la sortie de Randazzo, une clairière plutôt accueillante parfaite pour la nuit. Elle est de plus située non loin dune fontaine, malheureusement en bordure dune route assez fréquentée, mais qui nous permettra de faire une bonne toilette (en mettant un peu de pudeur et damour-propre de côté !). Le soir, nous discutons des pour et des contre de prendre un Bed & Breakfast pour le lendemain (nous ne comptons pas escalader lEtna avec la remorque et il nous faudra bien la laisser quelque part) : nous finirons pas nous décider en faveur du confort.
Lundi 17 : étape 3 : 84 km, 6h32, 2741 m D+ (Randazzo Etna Randazzo)
« Le Popocatepetl culminait dans lencadrement de la fenêtre, flancs immenses partiellement dissimulés par un convoi de cumulus à crête noire, pointe de la cime obstruant le ciel [
]. Sous le volcan ! Ce nétait pas pour rien que les Anciens avaient situé le Tartare au pied du mont Etna et le monstre Typhée dans ses entrailles
» (Malcolm Lowry)
Ça y est, le grand jour de la confrontation au monstre est arrivé ; après un lever plutôt pépère vers 8h, nous nous mettons en quête dun Bed & Breakfast. Pas si facile
Après trois essais (la plupart est fermée), nous atteignons notre but au bout dun chemin défoncé, et nous nous préparons à entrer dans le vif du sujet, sujet qui dailleurs ne sannonce pas si bien que ça : le ciel est couvert, le vent souffle dès le bas : quest-ce que ce sera vers 3000 m daltitude ? Plutôt prévoyants pour le coup, nous enroulons tous nos habits dhiver autour de nos cadres, tiges de selle et guidons. Pour rejoindre la route de lEtna, nous empruntons un chemin où les pentes sont carrément terribles : je pose pour la première fois pied à terre, sans me douter que ce ne sera pas la dernière fois
Enfin, après un bout de descente rapide (75 km/h pour Thomas), nous commençons lascension vers 12h35. Cest une montée plutôt régulière dans lensemble, de pente soutenue mais abordable malgré quelques passages très pentus mais pas très longs. Le bitume rend très bien, cest quasiment une autoroute. Le début de la montée se fait sous les arbres, orangers et citronniers : les flancs de lEtna sont très fertiles ; du moins jusquà un certain point : vers 1600 m, alors que la végétation luxuriante a laissé sa place à des résineux, les premiers champs de lave apparaissent, mais du coup le vent se fait davantage sentir, en pleine gueule évidemment, et loin dêtre chaud ! Nous chaussons donc jambières et manchettes, puis les surchaussures un peu plus loin. Nous finissons par arriver au bout de la route goudronnée, vers 1800-1900 m, sans trop de souci : lun dans lautre, nous sommes montés sans nous faire mal, entre 10 et 12 km/h et en gardant des forces (nous en aurons dailleurs besoin !)
A partir de lendroit où nous sommes, il reste tout de même 1400 m de dénivelé pour rejoindre les cratères qui culminent à 3300 m. Dès le début du chemin, on se doute que ça ne va pas être une sinécure : il est sinueux, le sol est très mou, nous obligeant à dégonfler un peu les pneus pour ne pas trop patiner. Le vent, évidemment, souffle de plus en plus ; les paysages se font de plus en plus lunaires mais le sommet reste invisible, noyé dans la brume. Quand la vue se dégage au-dessous de nous, il y a des échappées visuelles (malheureusement trop rares) magnifiques vers la mer et les vallées que lon surplombe. Plus nous progressons et plus le vent devient gênant, en plus d'être glacé : il nous surprend aux sorties de virages, soufflant par rafales, et nous déstabilise presque. Nous posons pied à terre de plus en plus souvent, notre progression commence ressembler de plus en plus à celle de gastéropodes, jusquà la trace que nous laissons derrière nous dans le sable. Au niveau de nos habits, ça fait longtemps que nous sommes à bloc ; Thomas a des gants bien trop fins et commence déjà à souffrir. Pour moi ça va encore à peu près mais vers 2400-2500 m, nous ne faisons quasiment plus de vélo, plutôt de la marche. Nous sommes maintenant encadrés par deux murs de neige plus hauts que nous (lavantage étant quon ressent moins le vent), et il fait entre -2° et -3°C. Nous finissons par nous arrêter à 2725 m, au milieu du brouillard et complètement congelés : la descente sannonce bien ! Elle sera, pour nous deux, TRES dure ; Thomas est quasiment en hypothermie, moi je maudis le fait de ne pas posséder de freins à disques : je suis debout sur mes V-Brakes, avec des crampes dans les doigts. Non seulement la pente est parfois vertigineuse, mais en plus la poussière réduit encore le rendement du freinage. Arrivés en bas, nous en arrivons à nous demander si la descente na pas été plus dure que la montée... Nous pillons la première épicerie qui passe pour nous ravitailler et prévoir le repas du soir. Malgré les 18°C en bas, nous sommes encore transis : bref, on était montés un peu fins par rapport à lobjectif et surtout aux conditions du jour. Pour moi, le retour sera très compliqué, la route pour rejoindre le Bed & Breakfast étant faite de faux-plats qui semblent interminables. Dautant que le Dieu Etna, dans une dernière pirouette, se moque bien de nous : alors que nous rentrons le sommet se découvre pour la première fois de la journée
500 g de gnocchis et 500 g de cannellonis suivies dune bonne nuit de sommeil ne seront pas de trop pour nous remettre daplomb !
Mardi 18 /mercredi 19 : étape 4 : 160,2 km, 7h, 1180 m D+ (Randazzo Syracuse), et repos
Malgré notre kilo de féculents de la veille, notre petit déjeuner est gargantuesque : nous faisons place nette et tout le monde doit penser que nous jeûnons depuis trois jours. Sucré, salé, nous naccordons aucune grâce à tout ce qui nous passe sous le nez, cest tout juste si nous laissons les emballages
Pourtant, malgré sa longueur, létape qui sannonce ne nous fait pas trop peur : plutôt descendante, elle doit de plus nous mener jusquà Syracuse, cadre enchanteur et mythique que nous sommes pressés de découvrir. La matinée ne va pas contre nos prédictions : nous navons jamais avancé aussi vite ; à la pause de midi, nous avons fait près de 70 km. Nous avons le plaisir de manger nos premiers fruits frais, en bordure dune orangeraie. Cest seulement le premier jour de grosse chaleur où, une fois nest pas coutume, nous transpirons dans nos maillots à manches courtes.
Mais tout cela fonctionnait trop bien : cette étape, qui rompt avec nos habitudes, emprunte des axes importants et relativement circulés. Au final, ce seront deux déviations successives qui nous feront faire 30 km de plus que prévu. Sur une étape déjà longue, cela devient carrément éprouvant. Nous sommes obligés de faire une pause supplémentaire en bordure de route où une vieille mamma au fond de son restaurant nous préparera deux paninis monstrueux dont notre non moins énorme appétit viendra tout de même à bout. Malgré ce réconfort de choc, larrivée sur Syracuse sera longue, très longue. Quand nous nous arrêtons dans un supermarché pour anticiper le repas du soir, je commence vraiment à ne plus rien avoir dans les pattes. En plus, la circulation importante induit un stress supplémentaire. Cette étape restera, sur lensemble du voyage, celle qui nous aura offert le moins de beautés paysagères. Les abords de Catane comme les kilomètres précédant Syracuse sont très industriels et nont réellement aucun attrait. Nous finissons pourtant par arriver à destination et nous trouvons inexplicablement des maisons abandonnées au bord dune crique désertée qui nous séduit, où le campement sera idéal. La mer, malgré tout, est encore bien trop fraîche pour que nous envisagions la baignade. Et comme leau est salée, la toilette sera, ce soir-là, réduite au minimum
Après cette nuit de récupération bienvenue, nous nous dirigeons vers Syracuse sur une piste cyclable ensablée plutôt agréable, qui nous évite la circulation. Nous décidons de traverser directement la ville pour rejoindre Ortygie, presquîle formant le centre ancien. Sans nous attarder pour le moment sur les beautés de la ville que nous aurons le temps de découvrir lors de cette journée de repos, nous nous mettons directement en quête de notre second Bed & Breakfast. Après avoir un peu tourné, nous nous fixons sur Les Magnolias, en plein cur dOrtygie et de ses ruelles entrelacées. Les 60 pour la nuit seront tout de même rentabilisés par le confort de la chambre et le fait que nous puissions laisser les vélos dedans.
Après une bonne douche, nous partons avec entrain à la visite de la ville. Syracuse, on dira ce quon voudra, ça reste un mythe. Difficile du coup dêtre à la hauteur de ce à quoi on sattend. Le théâtre antique, au sein du Parc archéologique, nous déçoit particulièrement : la ville a eu la bonne idée de poser des gradins métalliques (pour accueillir des spectacles) ce qui gâche pas mal la beauté dun site exceptionnel. Pourtant, il est émouvant de penser que Sophocle, Euripide et Eschyle, qui nétaient pas les premiers rigolos venus, ont donné leurs tragédies ici, ont dormi dans ces grottes creusées de la main de lhomme, où nous nous asseyons. Nous devons néanmoins renoncer à quelques objectifs que nous nous étions fixés : la visite des catacombes prendrait trop de temps, le musée du papyrus est fermé, léglise Sainte Lucie défigurée par des échafaudages. La ville moderne, certes, a du charme, mais elle offre souvent des façades et des quartiers très délabrés. Une bonne consolation gastronomique à ces quelques échecs sera lachat de gelati qui nous remettent daplomb. Mais cest Ortygie qui nous séduit définitivement : là se concentrent toutes les beautés et tous les charmes de Syracuse. La place du Duomo est tout simplement somptueuse. Tout cela nous ferait presque oublier que cette marche nous a presque plus courbaturés quune étape de vélo !
Le soir nous nous décidons pour un bon restau ; comme de coutume, il nous faudra enfiler pantalon et sweat : qui a dit que le printemps est chaud au sud de la Sicile ? Nous nous sommes décidés pour lOstria, dans une ruelle incroyablement étroite. Mariano, le patron, parle français daprès le guide du routard : euh, ouais, tout ça reste quand même incompréhensible mais ça ne lempêche pas de faire de la bonne cuisine. Inutile dessayer de trouver les plats sur la carte, Mariano nous a pris intégralement sous son aile quand nous lui avons demandé de nous servir les spécialités du Mont Iblei. Inutile, également, de chercher à savoir les prix, nous verrons bien à la fin ! Avec nos estomacs de cyclos affamés, Mariano a trouvé à qui parler : après de sympathiques amuse bouches suivi dexcellents antipasti, nous alignons deux types de pasta, suivi dun plat de poisson (très bon espadon) pour terminer sur un dessert. Le tout est arrosé dun bon vin du cru, avec en dessert une petite douceur en forme de spécialité locale : la picota, sorte de vin cuit sucré, très doux, que nous mettons un point dhonneur à terminer (ce qui nous réchauffera pas mal). Finalement, ce ne sera quassez tard, vers minuit, que nous nous coucherons, après avoir bien profité de cette journée de repos.
Jeudi 20 : étape 5 : 145 km, 7h48, 2200 m D+ (Syracuse Piazza Armerina)
Le réveil du lendemain, à 7h45, nous fait assez mal mais le petit déjeuner sur une terrasse à létage nous remet daplomb (il faut croire que nous avions encore faim !). Le ciel est bleu et nous devrions avoir le vent dans le dos. Tout se passe selon nos attentes au début de cette étape, malgré une belle bosse denviron 5 km, avec quelques beaux lacets, et dans laquelle nous nous encordons. Au sommet cependant, il faut bien nous résoudre à accepter que le vent est
contre nous, et quil est loin davoir faibli. Et comme de plus nous continuons à monter en faux-plat, ce maudit vent finit par devenir carrément froid. Il nous faudra un bon ravitaillement à Buccheri (où nous expérimentons le Powerade) pour affronter un ciel de plus en plus couvert. Thomas a lair de résister plutôt bien au froid mais je suis transi, jai mis sans hésiter veste thermique et jambières. Grammichele est bien jolie, un peu plus loin, mais les premières gouttes commencent à tomber : un peu plus loin nous ramassons une belle averse qui nous refroidit encore. Plus tard nous faisons une bonne pause à Caltanissetta, ville de céramique avec un escalier impressionnant à la réputation non usurpée (142 marches). En nous ravitaillant sur la place centrale, nous nous faisons un ami de 74 ans qui parle un très bon (et très abondant) français et a lui-même une bonne expérience du deux-roues (ancien cycliste amateur qui a couru aux quatre coins de France !)
Malgré ça nous ne nous attardons pas plus car il nous faut rejoindre un camping pour cette nuit après Piazza Armerina. Ce camping devrait être facile à trouver car il est fléché par des renards (!). Mais le renard va se révéler fourbe, et le fléchage approximatif : nous navons jamais trouvé ce camping et nous arrêtons très fatigués, du fait du fort vent de face récolté sur 70 km. Nous sommes donc obligés de dormir au bord dun champ glaiseux et humide, avec une réserve deau extrêmement réduite malgré une pluie qui nous surprend au moment du repas et nous force à manger dans la tente. Ces conditions seront dailleurs fatales à mon genou
Vendredi 21 : étape 6 : 130 km, 6h49, 1750 m D+ (Piazza Armerina Agrigente)
Le lendemain nous voit émerger à 7h30, mais le temps de nous préparer et denlever la moitié du champ de glaise sous nos semelles et nous partons à 9h45 ! Malgré un arrêt pour compléter le petit déjeuner dans une superette bienvenue, je commence déjà à avoir un tiraillement au genou plutôt inquiétant. Heureusement que Thomas, qui tire la Bob, est toujours daplomb ! Nous nous attendions à des merveilles mais sommes assez déçus par Caltanissetta (le château des femmes en arabe) qui arrive au terme dune montée interminable et déprimante, sous une petite bruine et sur une route large très circulée. Nous abandonnons lidée de trouver le Duomo après avoir tourné en vain dans la ville, dautant que la pluie pourrait bien reprendre. Le temps saméliorera heureusement sur la fin. A Recalmuto où le soleil est définitivement reparu, nous faisons connaissance avec une des institutions historiques de la Sicile : la mafia. Difficile de juger daprès lunique rencontre que nous avons fait là-bas, il nempêche que cette personne devait avoir une sorte datavisme du racket : au moment où nous lui tendions la main pour le saluer, il nous a demandé si nous voulions de largent. A quel autre endroit les gens pensent-ils quon réclame de largent quand on veut leur serrer la main ? Toute réponse semble inutile, voire déconcertante
A deux pas dun magnifique duomo d'un blanc éclatant, et lui faisant face, la statue dun parrain local de la mafia arpente le trottoir : bienvenue en Sicile, terre de contrastes
Les dublinois ont dans leur ville, sur Earl Street North, une statue de James Joyce qui rappelle celle-ci : à chacun ses valeurs !
Tout cela nous mène finalement, alors que mon genou me picote de plus en plus, vers Agrigente en longeant la vallée des Temples en fin daprès-midi. En arrivant, nous décidons de visiter tout de suite la partie haute. Avec ces couleurs et ce ciel, il faut bien reconnaître que ce lieu colle le frisson ! Lentrée dans la vallée que lon surplombe tout dabord, puis au sein de laquelle on descend avant de remonter vers les temples qui ségrènent comme des perles uniques sur les collines, produit une impression de majesté et de plénitude difficile à décrire. Au pied des vestiges, lharmonie que lon ressent nous fait comprendre à quel point cet emplacement a été choisi. Les jardins de la Kolymbethra (colline), par leur luxuriance et leur sérénité, pourraient avoir inspiré Nerval :
« La connais-tu, Dafné, cette ancienne romance,
Au pied du sycomore, ou sous les lauriers blancs,
Sous lolivier, le myrte, ou les saules tremblants,
Cette chanson damour qui toujours recommence ?... »
Avec quelques étoiles dans les yeux, nous descendons vers le camping où la malédiction des renards de Piazza Armerina, heureusement, ne nous poursuivra pas. Nous arrivons à San Leone dans ce que nous considérons comme du grand luxe : un joli cadre, des douches propres et bien chaudes, et une belle bâfrée pour nous remettre de nos émotions. Enfin, nous pouvons laver à grande eau le résultat de deux journées de vélo.
Samedi 22 : étape 7 : 128,3 km, 7h20, 2300 m D+ (Agrigente Lago di Gracia)
Le lendemain, nous nous levons tôt pour terminer la visite de la vallée des Temples. Cest toujours aussi émouvant et grandiose, dautant que nous passons avant le flux de touristes. Nous ne pouvons malheureusement pas nous attarder trop longtemps et faisons limpasse sur le musée archéologique : il faudra nous contenter des photos dun guide acheté sur place et nous nous mettons en route sans tarder.
Autant le dire tout de suite, les étapes qui suivront seront pour moi très difficiles : je commence vraiment à avoir mal au genou, cette fois ce nest plus du domaine de la gêne mais de la douleur. Cest bien simple, je ne peux quasiment plus pédaler assis, je dois rester presque constamment en danseuse pour limiter la pliure de mon genou. Cette étape qui nous verra arriver au Lago di Gracia sera vraiment compliquée. Cest dailleurs bien dommage car la route qui descend jusquau lac ouvre des perspectives sur des paysages réellement enchanteurs. Létape sera malgré tout plus longue que prévue et nous arrivons assez épuisés au lac. La douleur à mon genou est devenue suffisante pour que je la sente même au repos lorsque je plie la jambe. Heureusement, le lac nous permet de faire une toilette convenable et le soleil couchant sur les collines qui nous entourent est splendide.
Cette nuit de repos ne sera pas de trop
Dimanche 23 : étape 8 : 77 km, 4h08, 1100 m D+ (Lago di Gracia Castellammare del Golfo)
Encore une fois nous partons plutôt tard malgré un réveil matinal : tous nos efforts ne réussiront pas pendant ce séjour à nous faire lever le camp avant 9h
Cette étape sera considérablement raccourcie pour deux raisons : dabord, la route barrée à Scopello rendrait le trajet du lendemain particulièrement approximatif, nous obligeant à faire des détours non prévus. Et puis aussi, jai mal au genou dès le matin, ce qui moblige à me mettre perpétuellement en danseuse et finit par être très usant. Et comme cétait déjà le cas toute la deuxième partie détape de la veille, je me sens plutôt mal parti. Au final, je ferai quasiment les trois dernières étapes sans toucher ma selle
Quand à Thomas, lui, sa performance, il laccomplit tous les jours depuis le début du séjour, avec les 30 kilos de la remorque. Cest bien utile, tout de même, davoir des cuisses deux fois comme les miennes ! Donc, au lieu daller jusquà la pointe de lîle, à San Vito Lo Capo, nous nous arrêterons à Castellammare del Golfo.
Finalement, ce sera mieux ainsi : dabord nous profiterons pleinement dun jour de repos là-bas, et puis, comme létape est largement raccourcie, nous pourrons prendre tout notre temps pour visiter Segesta. Certes, nous avons eu du mal à trouver la route qui depuis Calatafami monte (et monte d'ailleurs assez sérieusement) jusqu'à Segesta, mais le moins que lon puisse dire est que ça valait le coup. Cest vraiment un temple magnifique que nous trouvons, dans un état de conservation difficile à imaginer. Plus haut, le village antique dévoile un théâtre incroyable, où les restaurations, contrairement aux gradins métalliques de Syracuse, sintègrent parfaitement et sont à peu près invisibles. La vue sur la vallée qui va par la suite nous mener jusquà Palerme est simplement renversante. Quand on imagine les proportions du théâtre tel quil était à lépoque (huit rangées de gradins sont en effet manquantes), on peut se rendre compte du lieu incroyable dont il sagit.
Le reste de la route vers Castellammare del Golfo sera sans histoire. Ce lieu est une sorte de côte dAzur sicilienne : ce nest peut-être pas très original ou typique, mais ça reste bien agréable, surtout hors saison. Nous allons en profiter assez pleinement, en prenant au camping que nous avons trouvé un gueuleton pharaonique. Il est assez exact que lalimentation aura occupé une part fondamentale de ce séjour !
Lundi 24 / Mardi 25 : étape 9 : 92 km, 4h44, 903 m D+ (Castellammare del Golfo Palerme)
Après notre journée de repos, bien utile pour mon genou et les cuisses de Thomas qui commencent à durcir, nous envisageons maintenant de rejoindre Palerme. Létape que nous avions prévue constituait à la base une sorte de couronnement : 130 km, 3130 m de dénivelé positif : une broutille quoi
Mais rapidement, il faut nous contenter de moins : les routes que nous devons prendre sont plutôt des chemins, qui serpentent entre les vignes ou les labours. Petites côtes pentues précèdent des descentes tout aussi brutales et complètement défoncées, où le goudron manque souvent. Après quelques temps nous nous arrêtons pour faire le point : nous ne devons pas être au-dessus de 15 km/h. Sur le profil prévu, il est effrayant de constater que nous navons quasiment pas avancé. Dun commun accord, nous décidons de nous rabattre sur une route plus proche de la côte, quasiment sans aucun dénivelé. Cest sûr, les perspectives sur la mer seront tout autres et nous ne verrons pas le cloître et la cathédrale de Monreale, pourtant incontournables selon les guides. Mais si litinéraire que nous empruntons na certainement pas la beauté sauvage de la route panoramique qui culmine à plus de 1000 m juste au-dessus de la mer, il nous permet au moins de ne faire que 92 km peu exigeants, et ainsi de profiter de la plage puis de Palerme par un temps sublime. Il nous permettra malheureusement aussi de constater un autre contraste sicilien saisissant, entre lenchantement de lieux de rêves comme Syracuse ou Agrigente et la saleté de grands itinéraires où les décharges à ciel ouvert sont légion
Un petit regret nous restera, malgré tout, de ne pas avoir fait ce que nous avions prévu
Mais comme contrepartie non négligeable, nous avons enfin pu profiter de la mer (il était temps !) et dune eau revigorante. Laissant les vélos au bord de la plage, nous sommes restés environ 2 heures à nous dorer par un temps magnifique devant une eau translucide :
« Elle est retrouvée.
Quoi ? LEternité.
Cest la mer allée
Avec le soleil. »
(A. Rimbaud)
Enfin, avant de prendre le ferry, il aurait été dommage de ne pas arpenter Palerme. Nous avons donc décidé de nous fendre dun nouveau budget restau, non sans avoir dégusté une glace. Étant donné que le lendemain sera plutôt consacré au jeûne (sur le ferry), nous nous en sommes donné à cur joie et sommes ressortis du restaurant juste à temps pour le ferry, avec le sentiment pas tout à fait abusif davoir mangé pour quatre.
Mercredi 26 :
Le retour sur le ferry, malheureusement, ne sera pas un grand moment de joie continue : en 20 heures de ferry, on a bien le temps de sennuyer et nous ne nous en priverons pas, après avoir épuisé la sieste et les bains de soleil. Sur la fin, la diffusion télé dune étape du Giro nous a permis de voir le temps passer un peu plus vite. Sans compter que, habitués que nous étions à manger quasiment en permanence, nous navons pas pu nous empêcher de boulotter ce que nous avions sous la main, à savoir : un sachet de gingembre sucré
Cest avec un peu de mélancolie que nous avons débarqué à Gênes, repris la 205 où quelques biscuits nous attendaient, et que nous avons filé sans plus tarder vers la France, avec une certaine fatigue dans les jambes mais tellement de belles images et de bons souvenirs dans la tête. Espérons que nous garderons, pour longtemps, « nos curs pleins de rayons », et que lorsque plus tard nous repenserons à ce séjour, « ce sera comme quand on rêve et quon séveille ! »
« Mais leurs yeux aiment à sy poser et retrouvent cette eau calme où se reflète un cur accordé à ses vux. » (Antoine Blondin)
Bilan:
1 072 km en 9 étapes et deux jours de repos ; 15 427 m de dénivelé positif.